L'Art Mérovingien 2

Ivoire, bois, cuirs et textiles

Plusieurs domaines de l’art mérovingien nous échappent presque totalement en raison de la nature périssable des matériaux qui leur ont servi de support. Il a ainsi fallu des conditions de conservation exceptionnelles pour que les œuvres d’ivoire (ou d’os), de bois, de cuir ou de textiles parviennent jusqu’à nous : certaines d’entre elles, considérées comme des reliques, ont toujours fait partie de trésors d’églises ou d’abbaye et bénéficient, de ce fait, d’un état de conservation remarquable ; d’autres objets, découverts dans les sépultures dont le milieu fut très humide ou au contraire constamment sec (cas des inhumations effectuées dans le sous-sol d’églises qui existent toujours), tout en gardant des traces de leur enfouissement, ont pu être en partie préservés.


Source article « Mérovingiens », Encyclopaedia universalis, Corpus 15, page 810


Les ivoires

Quelques monuments célèbres illustrent l’art des ivoires. Si le diptyque du Metropolitan Museum de New York, avec la représentation des saints Pierre et Paul (V° s.), la plaque-boucle trouvée dans la tombe de saint Césaire (+ 542, Notre-Dame-la-Major, Arles), avec des gardes endormis devant le tombeau du Christ, la pixyde de Saint-Maclou de Bar-sur-Aube (musée de Cluny, VI°-VII° s.), avec le Christ accompagné de cinq apôtres et bénissant l’aveugle-né, ou encore le peigne de saint Loup (+623) figurant dans le trésor de la cathédrale de Sens, avec ses lions accostant l’arbre de vie, témoignent manifestement des prolongements du style antique, devenu plus rigide, d’autres œuvres reflètent les courants esthétiques nouveaux : ainsi les plaques décoratives gravées du reliquaire d’Essen-Werden (travail rhénan du début du VII° s.), où des frises géométriques délimitent des cartouches décorés de motifs animaliers et anthropomorphes. Ces œuvres remarquables se distinguent des objets en os découverts en assez grand nombre dans les sépultures, comme les peignes, dont l’ornementation gravée, géométrique ou zoomorphe, est en général peu élaborée.

Source article « Mérovingiens », Encyclopaedia universalis, Corpus 15, page 810


Plaque Saint Césaire


Le bois

De la sculpture mérovingienne sur bois, dont les développements furent sans doute considérables (qu’il s’agisse de la décoration des églises et des demeures ou du mobilier et de la vaisselle), nous n’avons que de rares témoins, tels le célèbre pupitre de Sainte-Croix de Poitiers, attribué à sainte Radegonde (+ 587), avec un remarquable décor sculpté d’inspiration chrétienne (agneau mystique, colombes accostant le monogramme du Christ ou une croix, croix monogrammatique et symboles des quatre évangélistes), ou encore des tablettes de l’institution Saint-Martin à Angers (VII°-VIII° s.), avec un entrelacs central anguleux entouré d’une frise de feuilles d’acanthe de style antique.


Source article « Mérovingiens », Encyclopaedia universalis, Corpus 15, page 810



Pupitre Sainte-Croix de Poitiers

Le cuir

Quelques découvertes permettent de penser que l’ornementation des cuirs dut être courante à l’époque mérovingienne, notamment celle des ceintures et des fourreaux d’armes. L’un des meilleurs exemples est certainement pour la Gaule celui du fourreau de scramasaxe de la tombe numéro 11 de la basilique Saint-Denis (VII° s.) : portant une série d’appliques en tôle d’or, la gaine de cuir avait été ornée au fer d’une frise d’entrelacs de belle facture, tout à fait comparable à ceux des plaques de ceinture de métal.


Source article « Mérovingiens », Encyclopaedia universalis, Corpus 15, page 811


Les tissus

Nos connaissances sur les tissus mérovingiens demeurent limitées. Un certain nombre de fouilles ont livré des fragments de tissus, fossilisés par des oxydes résultant de la corrosion des objets métalliques au contact desquels il se trouvaient : on a ainsi une idée des matières utilisées (végétales et animales), de leur trame et même parfois de leur décor géométrique simple, résultant des modes de tissage. En outre, quelques rares sépultures (par exemple celles de la cathédrale de Cologne ou de la basilique de Saint-Denis, parmi d’autres, découvertes dans le sous-sol des églises) ont permis, du fait de leur situation particulière et privilégiée, la conservation de restes organiques et notamment de tissus, dont les couleurs ont pu être identifiées. L’étude de la répartition des restes textiles a même permis, dans certains cas, la reconstitution précise du vêtement : ainsi celui de la défunte numéro 49 de Saint-Denis (dont l’identification avec la reine Arégonde, épouse de Clotaire 1°, nous semble appeler des réserves), inhumée vers 600, se composait d’une chemise de fine toile de laine, d’une robe d’ottoman de soie violette s’arrêtant au-dessous des genoux, et d’un manteau de soie rouge sombre dont l’ouverture des manches portait une broderie de fils d’or en frise de rosette (d’autres exemples montrent que de telles broderies étaient fréquentes sur les vêtements des femmes de l’aristocratie mérovingienne.) D’autres tissus, enfin, sont parvenus jusqu’à nous dans un état de conservation souvent excellent, car ils ont toujours été contenus dans des reliquaires. A côté d’étoffes importées de l’Orient byzantin ou de l’Egypte copte, il importe de mentionner l’exemple le plus illustre de tissu mérovingien, celui de la « chasuble » de la reine Bathilde, fondatrice de l’abbaye de Chelles (+ vers 680), qui fait partie des collections du musée municipal de cette ville (Seine-et-Marne). Seul le devant du vêtement est conservé : il s’agit d’une pièce de lin en forme de T, sur laquelle on a finement brodé, avec des fils de soie de différentes couleurs, la représentation très fidèle d’une somptueuse parure d’orfèvrerie d’origine byzantine, constituée de trois colliers (l’un simple, l’autre avec une croix pectorale et le dernier avec des médaillons). Comme l’a démontré de façon convaincante J.-P. Laporte, la reine Bathilde se retira à Chelles vers 665 et, à la suite d’apparitions en songe de saint Eloi (+ 660), elle abandonna sa parure royale, la transformant en ornements précieux qui furent déposés sur la tombe d’Eloi : la chasuble brodée aurait ainsi rappelé, à la suite de cet acte d’humilité, le rang royal de Bathilde. Devenue relique, la chasuble fut pieusement conservée après la mort de la reine et constitue pour nous aujourd’hui un exceptionnel témoin de l’art de la broderie à l’époque mérovingienne.

Source article « Mérovingiens », Encyclopaedia universalis, Corpus 15, page 811


Les manuscrits à peinture

On ne saurait terminer ce tour d’horizon des différentes manifestations de l’art mérovingien dans les pays francs sans évoquer les manuscrits peints, dont quelques exemplaires sont parvenus jusqu’à nous. Tandis que les monastères irlandais portaient à leur plus haut niveau la peinture des livres sacrés, l’Italie du Nord, dans la tradition des scribes romains, pratiquaient au VI° siècle l’ornementation (notamment zoomorphe) des lettrines. La fondation par saint Colomban du monastère de Bobbio en 612, peuplé de moines irlandais, allait permettre la rencontre fructueuse de ces deux courants artistiques et l’épanouissement d’un style continental. Le monastère de Luxeuil, dans les Vosges, également fondé par saint Colomban, vers 590, joua un rôle tout aussi déterminant car il assura la diffusion en Gaule des livres irlandais et italiens tout en possédant le plus célèbre scriptorium du nord de la Gaule. Les monastères de Corbie, dans la Somme, et de Laon furent d’autres centres réputés de cet art. Les manuscrits enluminés (sur parchemin), les plus célèbres sont, poux Luxeuil, le Commentaire d’Ezéchiel de saint Grégoire (second quart du VII° s. ; conservé à Saint-Pétersbourg), le Missale Gothicum (sacramentaire que l’on peut dater des environs 700 ; Vatican), ainsi que le Codex Ragyntrudis (ouvrage des Pères de l’Eglise, milieu du VIII° s., conservé à Fulda). C’est au monastère de Corbie que fut ornée la règle Règle de Saint Basile (vers 700 ; conservée à Saint-Pétersbourg), les Quaestiones in Heptateuchon de saint Augustin (milieu du VIII° s. Bibl. nat., Paris) ayant été enluminées dans le nord de la France, peut-être à Laon. On peut encore mentionner, pour le nord de la France, le Sacramentaire gélasien (milieu du VIII° s. ; Vatican), et, pour l’est, la Chronique de Frédégaire (milieu du VIII° s. ; Bibl. nat., Paris). A l’exception de ce dernier manuscrit, où figurent d’étonnants dessins de personnages et d’animaux, proches du graffiti, il s’agit de livres enluminés à l’aide de couleurs chaudes et qui offrent maints caractères communs. Ce sont tout d’abord des pages de frontispice : celles-ci, dites « pages en tapis » en raison de la richesse et de l’organisation de l’ornementation, comportent un cadre rectangulaire ou de type architectural (avec colonnes et arcs simple ou doubles) à l’intérieur duquel est souvent inscrite une grande croix, accostée d’oiseaux ou de fauves ; les bandeaux délimités par les encadrements ou les branches de la croix sont décorés de frises d’animaux fantastiques, aussi bien que d’élégants motifs géométriques ou végétaux. Un autre aspect de ces manuscrits, à la fort belle calligraphie, est l’enluminure des lettrines marquant le début des chapitres ou des paragraphes qui, parfois, peut occuper la page entière ; on remarque également les pages d’incipit dont toutes les lettres ne sont plus calligraphiées, mais dessinées et enluminées. Dans ces différents cas, on a fréquemment eu recours au répertoire animalier (principalement des poissons et des oiseaux), complété par des motifs géométriques (notamment de savants entrelacs).

Sans jamais atteindre la perfection et le raffinement de leurs homologues insulaires, les manuscrits peints issus des monastères mérovingiens du nord de la France témoignent néanmoins d’un art accompli et d’un style original, qui connaîtra encore des prolongements directs durant la seconde moitié du VIII° siècle : l’Hexaemeron de saint Ambroise. (Corbie, seconde moitié du VIII° s. ; Bibl. nat., Paris) et le Sacramentaire gélasien, dit de Gellone (région de Meaux, fin du VIII° s. ; Bibli. Nat., Paris), en sont de bons exemples.


Source article « Mérovingiens », Encyclopaedia universalis, Corpus 15, page 811



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